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Monnaies et Détections

Drachme, denier ou schekel ?

Les monnaies gauloises « à la croix » languedociennes

La datation des monnaies gauloises à la croix s’est jusqu’à présent fondée sur des éléments principalement d’ordre métrologique. Il fallait donc rapprocher le poids moyen de chaque série de monnaies à la croix d’un quelconque étalon. Ainsi, selon l’étalon adopté, on pouvait être partisan de la datation haute (Soutou, 1965) ou basse (Colbert de Beaulieu, 1973). En réalité, si l’on a suscité autant de discussions aboutissant à des désaccords, c’est parce les arguments métrologiques ne sont pas convaincants. Après des décennies de discussions, nous le savons maintenant, le monnayage à la croix du sud de la Gaule existe déjà au IIIe s. avant notre ère comme l’attestent les monnaies découvertes en contexte stratigraphique daté de 200-175 av. J.-C. sur le site de Lattara (Py, 2006). Même si la question de la datation des premières émissions semble converger, la question de l’influence sous laquelle elles furent fabriquées ne l’est pas.
Dans cet article, nous revenons sur la question de l’étalon adopté pour la frappe des premières monnaies à la croix (desquelles nous excluons prudemment les imitations de Rhoda, puisqu’à ce jour, mis à part l’hypothèse d’une reprise de la croix, aucun lien formel n’a pu être établi entre ces deux ensembles). Nous considérons des éléments numismatiques à la fois métrologique, iconographique, et archéologique, qui, comme nous allons le voir, permettent d’étayer les propos de G. Depeyrot (2002) : « L’arrivée en Gaule des premières monnaies d’Ampurias et de Rhoda peut avoir été davantage liée à la participation des Gaulois aux combats réguliers livrés par les cités de la Méditerranée Occidentale […]. Ces mercenaires revenaient avec des espèces […]. Ainsi, Carthage louait des Celtes lors des opérations contre les Grecs de Sicile. On retrouve ainsi souvent des mercenaires gaulois dans diverses armées. Dans les années 240-230 av. J-C., l’emploi régulier de troupes de mercenaires gaulois dans les armées de Carthage a facilité l’introduction en Gaule de nouvelles monnaies, dont l’imitation a donné naissance aux frappes locales de monnaies d’argent. »
En 2013, nous avons réunis des données relatives au trésor de monnaies à la croix de Béziers (Lopez et al., 2013). Nous avons présenté des exemplaires jusqu’alors non publiés, dont certains conservés depuis plus de 30 ans dans des collections privées. L’étude de cet ensemble a permis de dresser quelques premières liaisons typologiques au sein du groupe des monnaies à la croix de la série traditionnellement nommée « languedocienne ». Nous avions remarqué que la tête masculine au droit du type languedocien de la figure 1 présente une caractéristique typique de ce type monétaire : le visage est nettement séparé de la chevelure par une ligne courbe creuse. D’après nos recherches, cette caractéristique n’apparaît sur aucun autre type de monnaies gauloises à la croix connues à ce jour. En recherchant une hypothétique similitude avec d’autres monnayages, nous avons remarqué qu’il existe un lien fort entre ce droit (cf. Fig. 1) et le droit de certaines imitations ibériques de la drachme d’Emporia (cf. Fig. 2). Des éléments stylistiques viennent appuyer cette constatation, tels que le traitement de la chevelure, le traitement de l’œil en un point dans un creux triangulaire, le traitement des lèvres en deux points, ou celui du menton, qui sont autant d’indices rapprochant ces deux droits (voir notamment le droit de Fig. 1 et le droit de Fig. 2, a et b). Ces constatations permettent de considérer la présence de la ligne courbe creuse séparant le visage de la chevelure comme le témoin d’une technique de gravure spécifique à quelques graveurs locaux. Cela nous permet de conclure que les monnaies à la croix présentant cette caractéristique sont contemporaines aux imitations gauloises de la drachme d’Emporion au bouclier, lesquelles débuteraient vers 240 avant J.-C. d’après D. Nash.

Ainsi, nous pensons que le type présenté à la figure 1 est le premier type de monnaies à la croix contemporaines aux émissions gauloises locales d’Emporion au bouclier dont le droit peut se décrire sommairement ainsi : tête masculine à droite. Dans la suite de l’article, nous nommerons donc ce type « à la tête masculine ».
Richard et Villaronga (Richard et Villaronga, 1973) indiquent que le groupe languedocien (auquel appartient le type « à la tête masculine ») s’organise sur un échelon privilégié établit à partir de 2000 exemplaires : 3,30 g (plus largement 3,21-3,40 g). Afin de déterminer plus précisément le poids moyen pour une série monétaire donnée, dans (Lopez, 2015), nous avons établit pour la première fois une chaîne de liaisons de coins permettant d’identifier un ensemble de 16 coins monétaires ayant servis au sein d’un même atelier. Nous avons identifié 174 monnaies provenant de cet atelier, ce qui nous a permis de proposer un poids moyen fiable de 3,53 g pour cet ensemble. Or, cet ensemble est datable de la fin du IIIe siècle d’après la présence de certaines d’entre elles dans les trésors espagnols de Valeria et de Villares (Villaronga, 2000). Nous sommes donc convaincus qu’il faut dorénavant ajouter aux échelons de J-C. Richard celui de 3,53 g (G. Depeyrot a d’ailleurs justement proposé un poids moyen à 3,50 g).
Revenons au type « à la tête masculine ». Nous constatons un poids moyen de 3,50 g, alors qu’un poids entre 4,32 g et 4,48 g est constaté pour les imitations de la drachme d’Emporion au cavalier, conduisant ainsi (Villaronga et Benages, 2011) à associer ces dernières à l’étalon de la drachme attique (4,30 g). Aucune correspondance métrologique ne peut ainsi être mise en évidence entre les deux types. Il faut donc chercher ailleurs.
Les discussions concernant cette métrologie ont été très diverses. Parmi les hypothèses il faut en retenir deux principales : J.-C. Richard envisage un lien avec la métrologie romaine (Crawford, 1974) dont le victoriat du denier lourd de l’époque pesait trois scrupules soit autour de 3,37 grammes ! Lorsque le nouveau denier – autour de 3,80/3,90 g – est frappé la métrologie des monnaies à la croix n’avait plus de correspondance, sauf celle d’un poids d’argent, et les séries suivantes s’organiseront sur des échelons réduits (avec trois ou quatre paliers successifs jusqu’au Ier siècle avant J.-C.

D’autre part, on a voulu la rattacher à la drachme lourde de Marseille (échelon privilégié de 3,80 g qui aurait été « allégé ») d’où le nom de « drachme à la croix » qui lui est souvent attribué. G. Depeyrot associe le système monétaire des monnaies à la croix au système de Marseille, en proposant un rapport pentobole-tétrobole. Dans le même sens, Michel Py écrit que le poids moyen de 3,5-3,6 g n’est pas sans rappeler celui de la drachme lourde massaliète apparue quelques décennies auparavant (cependant la relation avec celle-ci, qui ne circula guère en dehors de la chôra massaliète, ne présente ni évidence ni nécessité). Compte tenu de la fragilité de ces hypothèses uniquement fondées sur des aspects métrologiques, nous proposons ici une nouvelle hypothèse, tenant compte à la fois d’éléments métrologiques, archéologiques et historiques.
Nous avons montré dans la première partie de l’article que les premières monnaies à la croix (hors imitations de Rhoda) dateraient au plus tôt de la deuxième moitié du IIIe siècle. Les évènements historiques de cette époque nous poussent à chercher un lien vers le monde punique. En fait, nous n’avons aucune difficulté à intégrer les premières monnaies à la croix dans la métrologie traditionnelle du shekel léger hispano-punique de 7,20 g avec une correspondance pertinente avec les demi-shekels d’un poids théorique de 3,60 g et ayant un poids réel moyen oscillant autour de 3,50 g.
La proposition d’une influence hispano-punique est de plus confortée par les trouvailles des trésors espagnols mêlant des monnaies à la croix taillées à 3,53 g et des monnaies hispano-puniques (Villaronga, 2000 ; Ripollés, 1980), montrant ainsi une utilisation conjointe de ces deux émissions.

… La suite de l’article dans Monnaies & Détections n° 93

 

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