J’arrête de fumer. D’ailleurs j’arrête tout. De rêver, de faire des projets, de courir. En ce moment, je passe un sale moment. Parfois la vie nous joue de bien vilains tours. Au boulot, à la maison tout va de guingois, j’ai le moral au fond des chaussettes. Ma première résolution, arrêter de fumer. J’ai fumé jusqu’au dégout parfois, mangé comme un ourson et bu jusqu’à plus soif… Ça ressemble assez à une sorte de capitulation lente. Je dois me reprendre en main, me retrouver et me trouver une occupation. Une passion. Tout cet argent que j’économise en me tenant loin du « bourreau » de tabac doit me servir à me faire du bien, à me donner un but, à m’aider à faire quelque chose dans ma vie qui me fera oublier la douce et enivrante fumée du tabac et me donner un peu de bonheur. À deux paquets par jour, au bout de six mois (soit 60paquets par mois fois 6 égale 360 paquets) je vais me
faire un joli cadeau. Un voyage à l’étranger ? (J’ai peur en avion.) Un vélo pour me remettre au sport ? (Je
n’aime pas le vélo.) J’ai toujours rêvé de m’acheter une guitare électrique (mais j’ai la flemme d’apprendre).
Alors quoi ? Il y a bien des années, j’ai rencontré dans les Pyrénées un Espagnol qui se baladait tête baissée se déplaçant à petits pas avec un énorme casque sur les oreilles,concentré sur une drôle de machine à la main qu’il
balançait consciencieusement de droite et de gauche. Je m’approche et lui fais un signe amical. Il me salue à son tour et ôte le casque de ses oreilles. « Ola que tal hombré ? » Oui ça « tal » pas mal merci ! Je lui demande ce qu’il cherche dans ce coin paumé. « Yé cherche dé la monnaie mais yé trouve surtout des puta madré dé capsoul dé la coca cola ! » Autrement vous trouvez quand même quelques fois des jolies choses ? « Valé valé (balai balai). Si amigo quélqués fois, si, des monnaies antiguas ou médievales perro no menudo » (mais pas souvent, traduction approximative de l’auteur). Je sens bien qu’il n’a pas très envie de m’en dire plus mais je sens bien aussi qu’il aurait pu m’en dire bien d’avantage. Il remet son casque, rallume son détecteur et comme par miracle, ses quinquets aussi s’allument instantanément d’une lueur étonnante. Je le suis des yeux quelques minutes, mine de rien et je le vois s’arrêter, s’accroupir, creuser consciencieusement et sortir de terre une rondelle blanche qui de loin ressemble bien à une monnaie… Il se retourne, met l’objet dans sa pochette et me dit : « de nuevo una puta de capsoule dé la coca cola ! » Ah ouais d’accord… Je lui fais un petit hola (en gros, coucou en espagnol) et le laisse tranquillement à ses occupations. Un jour peut-être me dis-je passerai- je le pas et m’achèterai-je un appareil de détection. Ce jour est venu. Le bocal en verre que j’ai rempli depuis des mois est plein de monnaies et de petites coupures.J’ai retrouvé un souffle acceptable, une haleine moins lourde et un peu plus de vitalité. Finalement les bienfaits de la détection se faisaient déjà sentir en amont. En parcourant les pages jaunes, je découvre une boutique « Loisirs détections » sise Boulevard Carnot à Toulouse. Ça tombe bien, j’habite dans le Tarn mais la boîte où je travaille se trouve juste à proximité du magasin. En poussant cette porte, je ne me doutais pas à quel point cette démarche allait changer ma vie. En entrant dans l’échoppe j’avise derrière le comptoir un type frisé à l’oeil noir, taciturne, brun à lunettes pas très grand, trapu et pas très avenant. Ça parlait fort avant que j’arrive mais dès lors que je franchis la porte, les trois ou quatre « clients » m’observent d’un oeil pas franchement amical. Genre qui c’est celui-là ? Ils affichent des mines patibulaires (mais presque) : mâchoires carrées, cheveux très courts pour les uns et très longs pour un autre. Le genre de personnages qu’une jeune fille bien élevée et nubile n’aimerait pas rencontrer au détour d’une rue, la nuit du côté de la gare Matabiau. J’explique que je désirerais m’offrir un détecteur de métaux et Gilles, le patron, (puisque c’est ainsi que ses acolytes le nomment) m’invite à découvrir les différents appareils qui sont pendus au mur. Je me fais un peu oublier et la discussion reprend entre les clients. Bien entendu et comme si de rien n’était j’écoute les échanges. Dialogues dignes d’un film d’Audiard genre les tontons flingueurs : Y’en a ? Oui oui y’en a ! Tu as creusé profond ? Et c’était plutôt antique ou en toc ? Ou encore : Tu étais plutôt en discri ou en tous métaux ? Et c’était plutôt le champ du haut ou celui près de la rivière ? Hum ! Hum ! Ça c’est le Gilou (il y en a un qui l’appelle comme ça) et qui fait des onomatopées tout en regardant dans ma direction. Je me dis qu’apparemment c’est comme pour les champignons, moins on en dit et mieux on se porte. Bon, je vous ressers une bière demande le Gilou ? À l’unanimité, clairement, tout le monde a grand soif. De mon côté, j’ai une pépie qui me laisse la gorge brûlante et douloureuse mais à priori je ne fais pas encore partie du clan des détectoristes. (Je me rattraperai plus tard). Après les conseils éclairés deMonsieur Cavaillé, je choisis un Tesoro Silver sabre. Je passe à la caisse et un peu honteux je règle en espèce. La mine renfrognée du patron se transforme en un instant en une bonne bouille tout sourire. Et de me clamer. « En voilà au moins un qui ne me fait pas caguer avec sa carte bleue ! Pour la peine une pinte au jeune homme! » Voilà, l’aventure (la belle aventure) allait pouvoir commencer
suite au prochain numéro