(le Coin du Disque du Déus)
Pour accéder au terrain, il fallait passer un vieux pont de briques, étroit et surélevé en son milieu, suivre la rue principale du village en longeant les façades tristes des commerces disparus, et tourner à la sortie en direction de la rivière. Il y avait un groupe scolaire, plusieurs villas, un lotissement récent, puis les terrains de foot, et cet immense champ labouré qui allait jusqu’aux peupliers du bord de l’eau. Axel gara son vieux fourgon, chaussa les bottes, prit le Deus, sauta le fossé et s’engagea dans le champ. En se retournant, il voyait sur la colline le clocher de briques roses et l’ancien moulin qui dominait le village.
Le terrain venait d’être hersé. De plus en plus d’agriculteurs ne labouraient plus, mais passaient un coup de griffes ou de disques et semaient là-dessus, et traitaient ensuite le semis avec un désherbant sélectif. Pour Axel, le côté positif de cette nouvelle façon culturale était l’absence de grosses mottes : le sol était bien plat, facile à prospecter au plus ras, même si de longs paquets d’herbes et de restes de tournesols avaient été alignés par l’outil sur les bords des passages. Mais le côté négatif était bien sûr que cela n’arrangeait pas la détection : le terrain n’était plus retourné en profondeur et rien ne remontait… Comme ce champ n’était pas farouche et accueillait tous les prospecteurs du village et des alentours, il était tous les ans débarrassé de tout artefact métallique flottant à la surface. Axel adressa une courte supplique au Dieu de la Détection pour être le premier à venir après le passage de l’agriculteur, mais sa demande fut rejetée : il vit tout de suite des traces de pas que son optimisme considéra comme des traces de chasseurs. Mais quand il remarqua les premiers trous, plus ou moins bien rebouchés, il fut bien obligé de comprendre qu’il n’était pas le premier… Il se fit une raison : ce champ attirait les prospecteurs comme le miel attire les ours. Il était en effet idéalement situé entre le village et la rivière, et justement à l’endroit où cette dernière, bon enfant, s’était arrangée pour permettre l’établissement d’un gué, et continuait à tout faire pour en laisser l’emplacement bien visible. Et en plus, l’agriculteur qui le travaillait accordait sa bénédiction à tous les candidats prospecteurs…
Tant pis, il était là, il fallait continuer, en souhaitant que ces traces n’étaient pas celles d’un porteur de Deus, ce qui lui laisserait quelques chances… Et puis ce champ était tellement grand… Il commença donc à chercher, en se décalant par rapport aux traces de pas, de façon à bien balayer au-dessus. Il eut des sons assez rapidement, des ferreux, des plombs (tiens, le gars ne creusait pas sur le plomb ?…) des papiers d’alu, puis une première bonne cible : un petit poids monétaire, qu’il frotta sur le gant : on voyait une fleur de lys dans le coin gauche, avec à côté un I ou un 1 couché, et dessous P ou R I…
C’était encourageant, après le passage d’un collègue, et au bout de vingt minutes à peine.
Il eut droit ensuite à un bouton militaire, d’un modèle qu’il n’avait jamais trouvé : République Française, avec au centre le faisceau de licteur accoté de ce qui semblait être deux bonnets phrygiens, au-dessus de deux oves qui faisaient comme un bateau… un bouton qui devait dater de ces paisibles années 1790… Puis il creusa profond pour sortir un fort anneau de cuivre, de quelque courroie de traction animale, pas très vieux… et un trou encore plus profond sur un curieux objet : une boule ronde, en plomb, plutôt plate, avec un morceau de tige de suspension en fer : soit un poids de balance romaine, soit le balancier d’un cartel de cheminée…
Il eut ensuite plusieurs passages sans rien de notable, à part quatre squelettes de doubles tournois de tailles différentes, un gros Napoléon III de 1856 en assez bon état, une pièce trouée de 20 centimes 1930 et une autre de 1 franc 1977. Là, il commença à avoir des doutes sérieux sur les qualités professionnelles du prospecteur qui l’avait précédé. Puis il se dit qu’il ne fallait pas l’incriminer : peut-être n’avait-il pas une bonne machine.
Il trouva sur un autre rang une croix de chapelet en cuivre, mince et fine, un peu tordue et abimée… une perle de bronze, qu’il baptisa de gauloise pour avoir souvent trouvé les mêmes sur des coins de forêt ne livrant (fort parcimonieusement) que du gaulois… puis une boucle, plutôt de soulier que de ceinture, vu la taille… et un curieux passant de courroie ou de bretelle, en cuivre. Des morceaux de plomb, des capsules de bouteilles, des balles de mousquets, des restes de douilles en cuivre et de boites de conserves, des tubes de cachets, des bouts d’alu écrasés, deux ou trois grosses pointes forgées rongées par la rouille… la zone devenait de plus en plus polluée par du moderne… sûrement un endroit où les charrettes de fumier étaient déchargées pour être ensuite épandues dans le champ. Il décida de continuer le rang jusqu’au bout puis d’en sauter plusieurs et d’aller vers la droite en espérant que ce serait moins sale… La suite dans Monnaies & Détections n° 82