Le monnayage atypique de la Nouvelle-France (Deuxième partie)
Le monnayage colonial en Nouvelle-France
De rares monnaies, espagnoles et françaises, circulent. Les monnaies françaises servent surtout aux commerçants à payer leurs impôts au représentant du roi de France, le vice-roi de Nouvelle-France, donc elles repartent systématiquement en France.
Afin de maintenir le monopole français et d’en protéger ses productions, il est interdit aux colons de produire autre chose que la nourriture dont ils ont besoin, ce qui favorise une contrebande avec les colonies britanniques toutes proches.
La disette d’espèces menace aussi la sécurité de la colonie car elle rend impossible le paiement des troupes qui doivent maintenir le calme chez les Iroquois. En fait, les espèces frappées en France arrivent de manière très aléatoire, souvent une seule fois l’an, par bateau.
Le troc est donc couramment utilisé. Il se pratique beaucoup au niveau des échanges commerciaux entre Amérindiens et Européens, et entre Européens eux-mêmes. Il est basé sur des échanges de peaux de castors ou des bouteilles d’alcool.
Bien que la traite des fourrures soit axée sur le troc, soit l’échange de marchandises pour d’autres biens, une monnaie-étalon d’échange s’impose sous forme de peau de castor. Au sein des compagnies de pelleterie, une seule peau de castor adulte, de première qualité et en parfait état est appelée « plus ».
Le plus devint l’unité fixe de troc pour mesurer la valeur de toutes les marchandises de traite et autres pelleteries. Ainsi, la valeur totale des fourrures peut être cotée en plus et les Indiens peuvent obtenir l’équivalent en marchandises de traite.
En 1740, la Compagnie anglaise du Nord-Ouest fabrique même des jetons indiquant aux Indiens la valeur des fourrures qu’ils veulent échanger. Avec ces jetons, les Indiens peuvent échanger leurs prises contre un vaste assortiment de produits.
De même, les commerçants américains dans le sud des Grands Lacs utilisent comme étalon le « buck », soit la peau de cerf de Virginie mâle de grande taille, pour calculer la valeur des fourrures et des marchandises de traite européennes (avec 5 bucks, on a une caisse de six bouteilles de Whisky).
Les peaux de cerf servent à fabriquer des vêtements, notamment des vestes de chasse très prisées des coureurs des bois.
Le buck va devenir plus tard l’équivalent du dollar américain.
La peau d’animal (et pas seulement celle de cerf), moyen d’échange traditionnel de l’époque, était devenue une valeur étalon. Cependant, toutes les peaux ne se valaient pas. Une peau d’un animal tué en hiver était de meilleure qualité que celle d’un animal tué en été. La première pouvait valoir un buck, tandis qu’il en fallait plusieurs de la deuxième catégorie pour arriver à un buck. Il y avait aussi la taille. « Passe moi dix peaux de lapins, je te file une peau d’orignal ! Ça fait un buck de chaque côté. »
Peu à peu, avec les vagues de colonisation européennes, les échanges de ce type ont diminué, mais quand le dollar a fait son apparition en 1792, le terme « buck » est resté, comme un mot d’argot pour désigner un dollar.
Mais ce système a ses limites.
Pour pallier la pénurie « d’espèces sonnantes et trébuchantes », il devient indispensable d’établir un nouveau système monétaire : la monnaie de carte, atypique et fascinante.
Le but est de rembourser ces monnaies de carte en espèces sonnantes et trébuchantes dès que possible.
Le premier monnayage régional de la Nouvelle-France est cette monnaie de carte. C’est une monnaie de nécessité apparue d’abord au Canada et devenue moyen de paiement par cours forcé sous le règne de Louis XIV en 1685. Cet instrument financier consistait en la première tentative de monnaie fiduciaire française et nord-américaine.
D’autres formes de monnaie de carte sont également utilisées en Louisiane française.
En effet, en Nouvelle-France, à la fin du XVIIe siècle, la rareté des pièces de monnaie française est criante au Canada, surtout l’hiver, puisque les navires ne peuvent circuler sur le fleuve Saint-Laurent en raison de l’épaisseur de la glace, empêchant la livraison des marchandises.
Le 16 février 1670, des pièces de monnaie en argent (15 et 5 sols) et en cuivre (double tournois) pour un montant total de 100 000 livres, sont frappées à Paris et envoyées en Nouvelle-France. Mais ces pièces sont utilisées pour envoi de fonds, ainsi il y a peu de pièces de monnaie spécifiques aux régions avec lesquelles on commerce.
En 1674, le Roi donne l’ordre qu’en ses colonies tous les comptes, achats et paiements divers soient impérativement soldés en argent sonnant.
Cependant, en 1684, Louis XIV envoie des soldats au Canada, ordonne de les y faire vivre mais oublie leur paie. Jacques de Meulles, intendant de la justice, police et finances en Canada, Acadie, Isle de Terre Neuve et autres pays de la France septentrionale, n’a pas de fonds pour payer les fonctionnaires coloniaux et les troupes.
En juin 1685, il émet donc des notes de crédit d’un nouveau genre : « à cette époque, il n’y avait pas encore d’imprimerie dans la colonie, et d’un autre côté, comme peu d’habitants savaient écrire, le papier n’était pas en abondance. Mais pendant les longues soirées d’hiver, les jeux de cartes étaient l’amusement favori de la population, et par conséquent, il s’en trouvait un dépôt assez considérable ».
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