Axel était parti tôt le matin pour aller « faire » un terrain à la limite de l’Aude et de l’Ariège. Il s’était dit que ce champ, situé à quelques mètres en contrebas d’une église médiévale, toujours en service mais éloignée du hameau de plusieurs centaines de mètres, avait du servir de jardin pour le prêtre desservant. Le presbytère devait être le bâtiment délabré attenant à l’église. On voyait par une fenêtre sans carreau un amoncellement de bancs et de vieilles chaises dépaillées ainsi qu’un étroit chariot en bois noir sur quatre roues qui devait être le corbillard pour les messes des morts et pour aller jusqu’au cimetière derrière l’église.
Il traversa la haie de broussailles qui couvrait la pente sur une dizaine de mètres entre l’église et le champ, mais quand il fut au bord du terrain il eut une mauvaise surprise : c’était semé, il voyait la terre fraichement travaillée et les petits grains blanc d’engrais… Il réfléchit où il pourrait aller, passant en revue les terrains qu’il connaissait dans le coin. Il ne voulait pas avoir fait presque une centaine de kilomètres pour rien, d’autant plus que la journée s’annonçait belle après tous ces jours de pluie. Il pensa à un château en ruine dans la montagne, sur lequel il n’était pas revenu depuis au moins cinq ans. Il n’était qu’à une vingtaine de kilomètres, et n’imposait pas un trop long détour par rapport au chemin de retour. Il retraversa donc la haie d’épines pour remonter à la voiture en notant qu’il devrait revenir sur ce terrain en hiver. Pendant qu’il mettait le Déus dans le sac à dos, il entendit soudain un bruit de tracteur et vit arriver un premier tracteur bleu attelé d’une énorme presse verte à balles rondes, suivi d’un second tracteur qui avait dû être orange et qui tirait une interminable remorque à plateau chargée de grosses balles de foin. Il courut vite vers la route et fit signe au premier tracteur de s’arrêter. Le conducteur ouvrit la porte de la cabine de son côté, c’était un tout jeune garçon, Axel lui demanda si c’était eux qui travaillaient le champ en bas de l’église et s’il était semé. « Oui, il est à nous, mais pourquoi vous me demandez ça », répondit le garçon en souriant. Mais Axel le sentait méfiant et pressé. « Ben je fais de la détection, avec un détecteur de métaux, et comme ce champ est près de l’église, je me disais qu’il y avait peut-être des trucs anciens à trouver… mais il me semble qu’il est semé… » « Ah oui, ça, semé, il l’a été oui, mais les palombes et les pigeons ont tout mangé, 40 hectares de tournesol à refaire, on a pour 4 500 euros de semences en tout, on devait le refaire en début de semaine mais avec ce temps on n’a pas pu, et comme le foin a séché on l’a emballé et on finit de le rentrer… On va venir resemer après… mais pour ce qui est d’aller dans le champ, allez demander à mon père, c’est lui qui est derrière. »
Axel le remercia et se dirigea vers le second tracteur qui hoquetait bruyamment avec des jets de fumée noire. C’était une cabine ouverte, sans portes latérales. Il se haussa sur le marchepied, salua et demanda s’il pouvait aller prospecter dans le champ en attendant qu’ils viennent semer. « C’est quoi, ça, prospecter ? Qu’est-ce que vous voulez faire dans ce champ ? » dit l’homme. Axel lui expliqua mais dû répéter car le premier tracteur était reparti dans un bruit de moteur assourdissant. « Allez-y, allez-y, de toutes façons on va décharger et on revient semer, attendez-nous, on verra bien ce que vous faites ». Axel ne fut pas sûr qu’il ait compris ou entendu ses explications sur la détection, mais la réponse lui convenait tout-à-fait. Il le laissa donc repartir, revint à la voiture, reprit le Déus et le piochon et retraversa la haie pour descendre dans le champ. Il commença à prospecter aussitôt. Il eut rapidement des sons de ferreux, des douilles de chasse, de bosquettes et de 22 long rifle, plusieurs anneaux de chaines rongés de rouille, un morceau de rasette de charrue, une boucle, deux médailles religieuses, trois plombs de sacs, un morceau de bracelet de cuivre, plusieurs piécettes : neuf doubles tournois, deux oboles des rois d’Aragon, un denier royal très usé, un petit bouton militaire du 26e, un tiers d’une pièce de la Révolution, très épaisse : on pouvait lire : « LA NAT(ion) », un plomb de scellé portant un écu et au revers « 38 c », divers artefacts de cuivre ou de laiton, une petite boucle médiévale, un chaton de bague-sceau portant un « B » entouré de deux oves, une minuscule plaque-boucle méro très érodée, deux petites plaques décoratives en cuivre, et une agrafe à double crochet dont l’un était cassé… Comme il y avait aussi des bouts d’alu, des anneaux de cuivre, des morceaux d’outils agricoles, un bout de catadioptre rouge dans son cercle d’alu, des valves de vélos, des vis, des écrous cassés, des bouts de verre, de la poterie grise ou noire, des chutes de zinc, Axel pensa qu’il était peut-être bien sur le jardin du presbytère mais que beaucoup d’objets venaient sûrement du travail du champ et des épandages de fumier.
… La suite de l’article dans Monnaies & Détections n° 90
Vous pouvez laisser une réponse, ou trackback depuis votre site web.