Une île nature
L’Île à Vache nommée ainsi pour les nombreuses têtes de bovins présentes sur ses terres, est un îlot de la mer des Caraïbes, positionné sur la côte sud d’Haïti, dont il est administrativement rattaché. L’île en elle-même s’étend sur une vingtaine de kilomètres de long sur quatre de large à sa pointe est. Plusieurs marécages et étangs parsèment ses terres, mais la zone la plus notable de l’île est recouverte d’une forêt de mangrove.
L’île est à l’heure actuelle peuplée de dix mille habitants dont le moyen de subsistance est surtout lié à l’agriculture et à la pêche. Le tourisme joue également un rôle important dans les ressources de l’île. En effet, ses plages immaculées, ses eaux limpides et poissonneuses, une nature exubérante et sauvage, attirent de plus en plus de visiteurs en quête d’un lieu encore intact que l’homme n’a pas encore corrompu.
Les côtes de l’île offrent dans sa zone nord-ouest, des criques naturelles abritées et en eau profonde qui peuvent accueillir de nombreux navires de plaisanciers, notamment la baie Ferret où est implanté le Port Morgan. Certains navigateurs du XVIIe siècle ne s’y sont pas trompés, ces criques accueillantes leur permettaient de faire escale loin des routes maritimes fréquentées. Parmi ces visiteurs aux mœurs troubles, on pouvait compter un certain Henry Morgan, pirate de profession.
Sir Henry Morgan
Henry Morgan est né en janvier 1635 au Pays de Galles. Issu d’une famille aisée, il est loin d’avoir le profil du pirate qu’il deviendra adulte. Une légende raconte qu’il fut enlevé enfant, à Bristol et vendu comme esclave à la Barbade. Mais aucune trace écrite de ce rapt n’est parvenue jusqu’à nous. Il semble pourtant que le jeune homme s’embarque très tôt comme simple mousse à destination de la Barbade en 1658. Il déserte ensuite son navire et vit sans le sou, de vols ou de mendicité. Pour échapper à la justice qui lui promet la corde, il prend fuite vers la Jamaïque où il s’associe à des flibustiers anglais. Le jeune homme est malin et entreprenant, il parvient à gagner au jeu un navire, son premier bateau d’écumeur des Caraïbes. Pourtant, Morgan est sans réelle expérience de la mer, il offre alors ses services à un capitaine corsaire du nom de Edward Mansfield dont il deviendra le second.
Dès 1668, il entame une carrière de corsaire, puis de pirate, fonction qu’il se plaît toujours à exercer avec une grande cruauté. Ses faits d’arme sont nombreux, accompagné de plus de cinq cent hommes d’équipage, il se fait une spécialité du pillage côtier. Ses proies sont des villes et des colonies espagnoles, notamment celles de Puerto del Principe à Cuba et de Portobello au Panama.
La prise de la région de Panama reste son plus grand fait d’arme. En 1669, Morgan pille les côtes cubaines, puis Maracaibo au Venezuela mais n’obtiendra pas pour autant la richesse espérée. Sa réputation d’homme cruel et sans pitié traverse les mers et son trésor de guerre ne demande qu’à grossir. Une de ses bases est la ville de Port Royal en Jamaïque, mais le capitaine gallois aime également se réfugier sur l’Île à Vache. Ses exactions mettent dos à dos deux nations, la guerre entre l’Angleterre et l’Espagne est pourtant terminée mais il suffit d’une étincelle pour rallumer le feu qui couve et ranimer les hostilités. Morgan bénéficie de la couverture bienveillante du gouverneur de la Jamaïque, Sir Thomas Modyford. Ce dernier lui offre la possibilité de devenir amiral de la flotte de la Jamaïque.
Cette même année, le vaisseau amiral de la flotte de Morgan, une frégate anglaise corsaire, explose accidentellement dans la baie Ferret de l’Île à Vache. Ce vaisseau commandé par le capitaine Edward Collier, mouille dans la baie de l’île en attendant de retrouver Morgan et plusieurs capitaines flibustiers dont Laurent de Graaf futur gouverneur de l’Île à Vache. Morgan réunit alors ses officiers sur le HMS Oxford pour préparer le pillage de la ville de Cartagena.
Pendant ce temps-là, l’équipage se lance dans une soirée de fête et de beuverie à la santé du roi d’Angleterre et du gouverneur de la Jamaïque. On ne sait pas réellement comment le feu fut mis aux réserves de poudre, un canonnier ivre dit-on, toujours est-il que l’Oxford explosa dans la nuit du 12 janvier 1669 entraînant dans la mort plus de deux cents hommes d’équipage et cinq capitaines de la flotte de Morgan. Certains officiers réunis pour le conseil de guerre en poupe parvinrent à en réchapper, tout comme Henry Morgan, mais d’extrême justesse. On raconte que les survivants repêchèrent les corps de leurs camarades noyés ou brûlés, non pas pour leur donner une sépulture chrétienne, mais pour les délester de leurs bagues et bijoux en or. Pirates jusqu’au bout des ongles…
En 1670, Morgan obtient le commandement de la flotte corsaire anglaise de la Jamaïque, il pille allègrement navires, villes et côtes. Le Panama est à nouveau l’objet de ses rapines, en 1671 il tue et rançonne, secondé par deux mille hommes, les colons espagnols. La ville est incendiée et pillée, Henry Morgan met la main sur sept cent cinquante mille pièces d’or. Il fait torturer les habitants d’une manière effroyable, afin qu’ils révèlent les caches des richesses de la ville. Alexandre-Olivier Exquemelin, chirurgien de bord, témoigne dans un livre de ses exactions :
« Beaucoup de moyens furent utilisés dans le but de les faire parler, dont l’écartèlement associé à des coups de bâton ou d’autres instruments. Les pirates mirent des mèches enflammées entre les doigts de certains captifs, qu’ils finirent par brûler vifs. Ils tordirent des cordes autour de leurs fronts et serrèrent jusqu’à ce que les yeux des suppliciés jaillissent de leur orbite ».
Le roi d’Espagne choqué par ces violences, menace l’Angleterre d’une nouvelle guerre si ces exactions ne sont pas sévèrement punies.
Morgan revient donc en Angleterre en 1672 où il est emprisonné pour la forme pendant quelque temps, afin de calmer la colère espagnole. Il revient pourtant à la Jamaïque en 1675, après avoir été anobli par le roi Charles II. Il est nommé vice-gouverneur avec la charge de lutter contre la piraterie. Un retournement de veste assez singulier en connaissant l’homme et ses faits de pirateries avérés.
Morgan n’est pas reconnu pour être un excellent navigateur, on lui doit plusieurs naufrages ou échouages dont il réchappera à chaque fois. En 1675, il est à bord du navire Jamaica Merchant, un bateau de commerce anglais dont il a le commandement. Ce dernier fait naufrage à quelques encablures de l’Île à Vache. Il y eut peu de victimes et la cargaison fut vraisemblablement sauvée par les survivants.
Morgan se retire de la piraterie et passe le restant de ses jours à la Jamaïque où il obtient le titre prestigieux de gouverneur général, cependant en 1683, il est dessaisi de son poste de gouverneur. Il meurt en 1688, victime de la tuberculose ou d’avoir trop abusé de rhum dans les tavernes de Port Royal. Sa dépouille est enterrée dans le cimetière de Palisadoes à proximité de Port Royal, ville qui disparaît sous les eaux en 1692 après un tremblement de terre historique.
… La suite de l’article dans Monnaies & Détections n° 98
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